ARTICLES
No copyright infringement intended

 


LE TREIZIEME GUERRIER ET LES MANGEURS DE MORTS

L'ECRAN FANTASTIQUE / Nicolas Rioult / Août 1999

 

Prévue à l'origine en avril 1998, la sortie du film n'a cessé d'être repoussée pour finalement être fixée (en France et aux Etats-Unis) en août 1999. Les rumeurs les plus folles ont circulé sur les raisons de ce retard. John McTiernan aurait été renvoyé de la salle de montage, Crichton lui-même aurait retourné de nombreuses séquences, certaines scènes filmées auraient été largement remontées, d'autres purement et simplement coupées, le compositeur de la musique, Jerry Goldsmith, aurait remplacé Graeme Revell alors que sa partition était déjà achevée. Nous n'aurons sans doute jamais le fin mot de l'histoire sur ce traditionnel affrontement créateur-financier dont Hollywood, depuis ses origines, s'est fait la capitale.

Si une grande partie de ces rumeurs est sans doute fondée (qu'une aussi importante production souffre de quelques 18 mois de retard sur la sortie prévue ne saurait être le fruit de simples problèmes de calendrier), il convient sans doute de nuancer l'opprobre qui va s'abattre (et s'est déjà abattu) sur Michael Crichton.

 

LES SEIGNEURS DE LA GUERRE
Le film de McTiernan est l'adaptation d'un ouvrage de l'auteur de "Jurassic Park" intitulé "Eaters of the Dead" (paru en France sous le titre "Les Mangeurs de Morts", éditions Pocket). Sous la forme d'un récit itinérant, il décrit les mésaventures en pays Scandinave d'un lettré arabe, répudié par son Calife, et contraint à l'exil sur la route duquel il s'allie avec une tribu Viking avant d'affronter une effrayante peuplade cannibale, les Wendols.

Le plus surprenant à la vision du film est donc l'extrême fidélité de l'adaptation écrite par les scénaristes, Warren Lewis (BLACK RAIN) et William Wisher (JUDGE DREDD, TERMINATOR 2). Ce parallèle entre le roman et le film met d'ailleurs à mal certaines hypothétiques coupures évoquées par les détracteurs du long-métrage. Ainsi, le bref flash-back d'ouverture révélant la trahison d'Ibn Fahdlan est-il scrupuleusement conforme à l'ouvrage de Crichton.

De même, le film peut sembler frustrant par la mise en place de pistes narratives, curieusement délaissées par la suite. Ainsi, l'affrontement potentiel instauré entre les Vikings et certains membres du village est-il totalement éludé. Or, là encore, le film s'avère totalement fidèle à sa source. C'est bien le duel spectaculaire opposant un représentant de chaque clan qui met un terme à la mutinerie latente sans que cette intrigue ne donne lieu à des développements ultérieurs.

Les modifications effectuées sont d'ordre essentiellement fonctionnel : certains passages ont été condensés afin d'aborder plus rapidement le vif du sujet (le voyage des Vikings vers le village en péril a été quelque peu écourté).

Néanmoins, certaines des coupes effectuées sont nettement plus dommageables et se révèlent flagrantes. Elles concernent essentiellement les personnages féminins de l'intrigue. Celui de la jeune servante, campée par Maria Bonnevie, n'a aucun relief (bien qu'il soit plus développé à l'écran que dans le roman !) et disparaît même au milieu du récit, alors qu'elle apparaît sur des photos illustrant des scènes absentes du métrage.


De même, les amateurs de la trop rare Diane Venora, interprétant ici la Reine du clan, resteront-ils sur leur faim devant la rareté de ses apparitions, en totale contradiction avec le rôle influent que suppose son personnage.
Toutes ces remarques n'ont nullement pour but d'excuser les éventuelles réserves pouvant être émises à l'encontre de cette réalisation au terme de son interminable post-production. Au contraire, elles permettent de tempérer l'impact qu'aurait eu ce remontage sur le film et de pouvoir l'apprécier à sa juste valeur.

 

LE CHOC DES MONDES
John McTiernan, dont on connaît la passion pour les Vikings depuis son incunable premier long-métrage amateur, DEMON'S DAUGHTER, trouve dans l'ouvrage de Crichton matière à revisiter toutes les obsessions fondatrices de son cinéma.

Ainsi, comme tous ses films précédents, LE 13EME GUERRIER raconte l'intrusion d'un homme dans un univers étranger et hostile.

Ibn Fahdlan, individu raffiné et cultivé, égaré au sein d'une civilisation de rustres dont il ignore les codes, est l'ancêtre moyenâgeux du Jack Ryan de A LA POURSUITE D'OCTOBRE ROUGE, dans lequel ce col blanc devait trouver ses marques au milieu d'un univers militaire rigide et sans aspérités apparentes.

John McTiernan poursuit les innovations formelles expérimentées avec son chef-opérateur Peter Menzies Jr (responsable également de l'incroyable image de PLUIE D'ENFER) sur UNE JOURNEE EN ENFER. A l'époque, le cinéaste américain avait dynamité l'univers ultra-rigide du blockbuster hollywoodien en le passant au crible d'une esthétique "reportage", à l'appui d'une caméra sur l'épaule, toujours en mouvement, à l'affût des moindres déplacements de ses protagonistes et traquant les moindres chamboulements à l'intérieur du cadre. D'un univers ingrat, McTiernan compose une oeuvre visuellement inouïe, multipliant les images oniriques (la plus belle étant sans conteste le "dragon" dévalant une colline, en réalité une colonne de cavaliers portant des torches). Il retranscrit le chaos du monde et le désir d'y échapper en filmant cette aspiration de la façon la plus littérale qui soit : LE 13EME GUERRIER pourrait se résumer à des visages s'évertuant à émerger des ténèbres de l'image (nous ne saurions trop conseiller de voir le film sur grand écran), ce qui engendre des séquences parfois aux limites de la lisibilité mais en accord parfait avec la nature profonde du sujet.

LE 13EME GUERRIER ne s'évertue jamais à engager une stérile compétition avec ses prédécesseurs qu'il surpasse néanmoins à maints égards. Alors que la logique cinéma hollywoodienne relève des superlatifs (toujours plus d'effets spéciaux, de cascades, de morts...), McTiernan se place délibérément en marge de cette concurrence. N'escomptez donc pas découvrir dans sa dernière oeuvre des scènes de bataille rivalisant avec celles de BRAVEHEART, dont la puissance se situe à des années-lumière. Cependant, elles n'en paraissent pas moins aussi belles, justement parce qu'elles s'intègrent à un schéma cinématographique et ne constituent pas uniquement un défi technique.

S'il n'était pas aussi incroyablement filmé, LE 13EME GUERRIER pourrait sans doute s'apparenter à un produit modeste. L'économie de moyens avec laquelle McTiernan filme son récit laisse souvent pantois. Là où n'importe quel faiseur aurait eu recours à une scène pour véhiculer une idée, il suffit au cinéaste d'un geste ou d'un regard, sans qu'il lui soit besoin de la souligner. Ainsi, lorsque le héros s'apprête à partir au combat, sa dulcinée effleure sa monture d'une caresse délicate, sans que Banderas, la stature majestueuse et le port altier, ne détourne le regard de l'horizon. Par cette pudeur du geste, le cinéaste véhicule toute l'émotion contenue des deux personnages.

De manière générale, le film fait preuve d'un raffinement surprenant au regard de son synopsis basique ("Vikings versus Cannibales"). Dans A LA POURSUITE D'OCTOBRE ROUGE, McTiernan déplaçait déjà les attentes les plus primitives des spectateurs (une gigantesque bataille navale sous-marine) vers des enjeux beaucoup plus complexes, uniquement motivés par l'intelligence et la réflexion des protagonistes : le duel maritime cédait rapidement place au jeu d'échec.

LE 13EME GUERRIER présente trois catégories d'invidus, incarnant chacune de façon abstraite un stade de l'humanité.

Ibn Fahdlan incarne la culture la plus extrême. Quelques brefs plans présentent Bagdad dans une enluminure fantasmée nous faisant miroiter en hors champ l'ombre du fameux VOLEUR DE BAGDAD de Michael Powell/Alexander Korda. Cette hypothèse restera à l'état d'ébauche, plongeant le valeureux guerrier au coeur d'un monde inconnu, loin de ces frasques esthétiques.

A ce sujet, il faut noter l'originalité du film qui a pour héros un Arabe. Dans un pays où les personnages en provenance du Moyen-Orient se voient cantonnés dans deux rôles, celui du terroriste ou celui du faire-valoir (cf. TRUE LIES), cette avancée quasi-progressiste est suffisamment rare pour être signalée.

A l'opposé, les Vikings sont menés de main de maître par un puissant guerrier charismatique, Buliwyf. Les premières scènes du film nous les présentent tels que sont toujours décrits ces êtres fascinants et mystérieux : vulgaires et paillards, ils incarnent la force brute. Leur bravoure ne les déleste pas d'un univers rongé par l'obscurantisme et les légendes séculaires où la seule évocation du brouillard suffit à éveiller des peurs ancestrales.

Les Wendols sont l'angle mort de l'humanité. Mi-hommes, mi-animaux, ils n'ont pas su déterminer leur camp. Le film laisse dans l'ombre leur mode de vie. Certains regretteront de ne pas voir leur personnalité plus développée. Objection pourtant contestable. Ils ne sont pas le sujet du film (pas plus que celui du roman) et n'exercent somme toute qu'une fonction de catalyseur dans l'aventure humaine que vivront l'Arabe cultivé et les Vikings sauvages.

Ce qui intéresse McTiernan, c'est la façon dont l'un et l'autre devront à la fois s'apprivoiser mutuellement tout en abandonnant leurs illusions originelles. Pour Ibn Fahdlan, c'est un retour à la violence primitive. Son apparence majestueuse (sa première apparition nous le dévoile maquillé et revêtu d'une splendide djellaba noire) va progressivement se dégrader. Hué par les Vikings, il va abandonner la défroque de l'émissaire pour enfiler celle du guerrier, armure et cotte de mailles faisant désormais office de vêtement. A ce propos, on ne saurait trop louer l'interprétation d'un Antonio Banderas méconnaissable. Tendu et fiévreux, il offre une palette d'émotions qu'on le croyait incapable d'exprimer. McTiernan ne fait à aucun moment l'apologie fascisante d'un retour nécessaire à la barbarie, bien au contraire. Le voyage intérieur des personnages n'est pas à sens unique. Dans cette aventure, les Vikings trouvent également matière à s'instruire grâce à un univers dont ils ne soupçonnaient même pas l'existence. Cette initiation donne lieu à la très belle séquence dans laquelle Buliwyf découvre l'écriture en demandant à Ibn Fahdlan de "dessiner les sons".

 

MOTS A MAUX
Cette confrontation entre deux univers trouve sa résolution dans la magnifique scène de l'apprentissage des langues. A LA POURSUITE D'OCTOBRE ROUGE présentait une scène similaire, lorsque les marins russes se mettaient subitement à parler anglais. McTiernan se trouve de nouveau confronté à cette problématique sur laquelle ont buté de nombreux cinéastes : comment faire communiquer à l'écran des individus ne parlant pas la même langue ? Le réalisateur transforme ce problème narratif concret en un pur geste de mise en scène. Réunis autour d'un feu, Ibn Fahdlan, qui jusqu'alors disposait d'un traducteur pour converser avec les Vikings, observe les Nordiques dialoguer entre eux. La caméra fixe les lèvres en mouvement des guerriers. Miraculeusement, Ibn Fahdlan apprend à parler leur langue et devient en quelques secondes bilingue. Ce moment est finalement l'aboutissement de la scène précédemment évoquée dans laquelle Fahdlan dessinait les sons. Ici, par analogie, on pourrait dire qu'il "sonorise des images". Si cette scène est dépourvue de la crédibilité la plus élémentaire, elle semble pourtant parfaitement naturelle. McTiernan réalise à travers ce coup de force un éloge de la mise en scène, envisagée comme un relais indispensable entre les personnages, permettant aux événements, surtout les plus improbables, d'advenir.

La manière dont est racontée le film est une belle preuve de sagesse et du respect que donne McTiernan à ses personnages. Antonio Banderas est le protagoniste principal d'un récit dans lequel il ne tient pourtant qu'un rôle secondaire. Le véritable héros étant Buliwyf. C'est lui qui affronte le chef des Wendols lors de la bataille finale. Ce mode narratif, directement issu de tout un pan moderniste du Septième Art, rend encore plus singulière l'approche adoptée par John McTiernan pour filmer ses comédiens.

Oeuvre tout à la fois physique (il faut voir avec quelle maestria McTiernan fait vivre les éléments de son décor) et émouvante (la prière des Vikings avant l'assaut final prenant l'allure d'une communion), LE 13EME GUERRIER pourrait être le film qu'aurait réalisé Raoul Walsh s'il s'était un jour colleté avec l'heroïc-fantasy. Comme dans les meilleurs films du réalisateur d'AVENTURES EN BIRMANIE, la mise en image est à la fois épique et majestueuse tout en conservant une dimension intime et secrète. Cette richesse du style fait tout le prix de cette oeuvre, l'une des meilleures de son auteur.


ENGLISH VERSION:

Not available.