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DEUX ARMEES QUI S'IGNORENT
POSITIF / Pierre Berthomieu
/ septembre 1999
Moins soigné que PIEGE DE CRISTAL
(DIE HARD) et DIE HARD WITH A VENGEANCE, LE 13EME GUERRIER est une oeuvre
beaucoup plus personnelle pour John McTiernan. Les deux DIE HARD assemblent
des morceaux de bravoure, moulent les figures singulières de McTiernan
dans une structure obligée, voire délibérément
répétitive. Mais il y a un autre McTiernan, un McTiernan
plus libre, comme dans son meilleur film à ce jour, PREDATOR. LE
13EME GUERRIER appartient à cette inspiration, brutale et primitive.
Pourtant, la critique est aisée. Et
les défauts du film n'incombent pas à McTiernan. Alors ?
Sans tourner autour du pot : le film a connu des mésaventures dont
on ne connaîtra probablement jamais la nature exacte, mais dont
le résultat est visible. En quelques mots : des désaccords
divers sont intervenus entre Michael Crichton et McTiernan. Crichton a
repris le contrôle du film, imposant apparemment son montage. La
lenteur du rythme a pu effrayer la production. Reste une heure quarante
d'un métrage que l'on devine beaucoup plus long. Les aventures
d'Ahmed dans son Arabie sont évoquées en trois ou quatre
plans, assorties d'une voix off. Des effets de flash blanc proposent
des transitions brutales et frustrantes. Quelques minutes de plus, et
le personnage du mentor (Omar Sharif) disparaît à son tour.
Quelques minutes encore, et nous sommes en terre viking. Au bout de quinze
minutes, le spectateur craint le pire. La confusion paresseuse d'une longue
séquence d'exposition, sous la tente des chefs vikings, s'avère
terrible. Et puis le film de McTiernan renaît soudain. Certes, il
y aura encore quelques béances fâcheuses : les relations
entre les personnages secondaires du village sont éliminées,
ainsi qu'un complot pour le pouvoir et l'histoire d'amour entre Ahmed
et Olga, une jeune femme viking. Juste quelques traces...
La vision de McTiernan survit, et c'est là
l'essentiel. Comme PREDATOR ou NOMADS, qui opposait Pierce Brosnan en
anthropologue aux esprits de tribus sauvages, LE 13EME GUERRIER est l'histoire
d'une régression et d'une initiation. Régression vers la
barbarie, vers un état de sauvagerie initiale. Mais aussi vers
un état de nature qui fait renaître la spontanéité
de l'homme et le transforme. Le petit prologue offre un contraste saisissant
avec le reste du film. Une esthétique chatoyante, une effet de
composition picturale servent à évoquer le monde des "Mille
et Une Nuits", qui n'est dévoilé, au passé
d'ailleurs, que pour être abandonné. A la fin, Ahmed repart
vers cet ailleurs, utopique, lointain, pour le découvrir à
nouveau. Brèves visions d'un paradis perdu englouti dans l'océan
de blancheur grisâtre et écumante. Ahmed, l'ambassadeur arabe,
est emporté vers le monde viking. Le passage sur l'océan
blanc fait office de table rase. Le héros est ramené à
un âge antérieur où disparaît sa culture raffinée.
Menacés par un ennemi monstrueux et extraterrestre, les héros
de PREDATOR abandonnaient progressivement leurs armes technologiques pour
s'affronter à la forêt sauvage et à la bête.
Les hommes-ours ennemis des Vikings constituent le même type de
menace que le Predator. Ils maîtrisent des techniques d'attaque
qui désemparent les Vikings : les rangées de torches pour
créer un serpent lumineux, les cadavres subtilisés à
toute vitesse. Pourtant, leur élimination entraîne le groupe
viking vers une régression plus barbare encore, vers l'âge
des cavernes et du cannibalisme.
La nature de l'ennemi donne à l'affrontement
une double dimension. Tribu contre tribu : les Vikings doivent éliminer
le chef adverse. Mais aussi groupe humain contre monstres primaires, réduits
à leurs instincts. S'introduisant dans la caverne de l'adversaire,
les héros découvrent le charnier, des squelettes par centaines,
et recherchent la reine, la mère reproductrice. La séquence
pourrait évoquer l'ALIENS de James Cameron. Dans le vaisseau aux
parois organiques, redevenu lieu matriciel, Ripley se trouve confrontée
à la reine alien dont elle détruit l'appareil reproducteur.
Mais McTiernan inscrit le symbolisme du cloaque dans un réalisme
documentaire. L'exploration de la maison en ruine, la découverte
des corps mutilés rappellent encore le village détruit dans
PREDATOR, et assènent une violence sanglante, anatomique. Les choix
formels du film construisent en quelque sorte un effet documentaire sur
le monde viking. Aux éléments structurels et rhétoriques
du genre (alternance entre combats et discussions, piste sonore mêlée
de cris et de musique) se mêlent des options personnelles fortes
: une palette de couleurs très limitée et peu flatteuse,
des éclairages naturels (aux torches), une image granuleuse, parfois
à la limite de la lisibilité, une lenteur sereine.
Le traitement des langues est très
significatif. Le langage viking constitue d'abord un obstacle pour Ahmed.
McTiernan reformule l'opposition des langues et des cultures que l'on
trouvait dans les DIE HARD (héros populaire américain, terroristes
européens hautains et plus sophistiquées, financiers japonais
prédateurs). L'émissaire Melchisidek joue pour le héros
le rôle du traducteur. Des effets de montage symétriques
montrent ensuite Ahmed confronté à l'altérité
d'une langue inconnue. Peu à peu, les signes deviennent identifiables
et la langue viking se métamorphose : le film se met à parler
anglais. La convention est plus profonde qu'il n'y paraît. Parce
que le film obéit à la vision et aux sentiments d'Ahmed,
l'inconnu auquel il s'accoutume au point de le comprendre devient linguistiquement
familier. En plus d'une très belle mise en scène, le changement
de langue est moins artificiel, moins brutal que celui de Sean Connery
dans A LA POURSUITE D'OCTOBRE ROUGE, du russe à l'anglais.
McTiernan a également bâti son
film sur la progression des combats. Les Vikings affrontent d'abord l'ennemi
dans un lieu clos, une obscurité quasi totale, où se dessinent
et s'effacent des rais de lumière. Les épées s'élèvent,
les membres volent... Plusieurs minutes d'une obscurité musculeuse,
bruyante, brutale, assaillent le spectateur. Deuxième étape
: la grande bataille nocturne, éclairée aux torches, oppose
les Vikings à des adversaires à cheval. Les cieux sont orangés,
les flammes paraissent voler, les forces en présence se précisent,
se reconnaissent. Ahmed découvre que l'ennemi est humain. Le dernier
combat a lieu de jour. Après le noir, le sang et les flammes, l'eau
et la boue. Une grande rhétorique (ralenti, musique) achève
ce combat. Les héros se décrispent, semblent adhérer
au milieu physique et humain qui les entoure. Finalement, le plan d'ouverture,
avec ses figures anxieuses perdues dans l'océan blanc, attendait
cette adhésion à l'espace et ce retour à une sérénité
corporelle.
Qu'une telle épaisseur d'inspiration
survive au charcutage du film est un bel exemple du talent de McTiernan,
paradoxalement plus évident ici, dans ce film incomplet, qu'ailleurs.
English version:
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