ARTICLES
No copyright infringement intended

 


ZORRO CHEZ LES VIKINGS

LIBERATION / Didier Péron / 18 août 1999
http://www.liberation.fr/cinema/9908/li-guerrier990818.html

 

Il n'est pas besoin de connaître dans le détail les raisons du conflit qui a durablement opposé le cinéaste John McTiernan et l'écrivain producteur Michael Crichton pour s'apercevoir à la vision du 13EME GUERRIER que le montage du matériel tourné n'a pas dû être une mince affaire.

COMPROMIS
Le film tel qu'il sort aujourd'hui, après deux ans de blocage procédural, est le résultat d'un compromis entre les exigences divergentes de ces deux mammouths hollywoodiens, compromis qui place Crichton vainqueur sur McTiernan, celui-ci ayant fini par jeter les gants et renier un film qui comptabilise 45 minutes de séquences amputées et jetées à la corbeille. Crichton aurait même fait retourner certaines scènes l'année dernière, sans McTiernan évidemment, lequel se répand depuis en propos aigres et dégoûtés sur son ancien partenaire. Il faut dire qu'il est bien naïf (ou mal informé) puisque Crichton avait déjà eu raison de la patience de Philip Kaufman (SOLEIL LEVANT) ou de Barry Levinson (SPHERE), sous le même prétexte que leurs vues ne coïncidaient pas au millimètre près avec les siennes. LE 13EME GUERRIER a donc bien failli rester au fond d'un tiroir - Crichton est suffisamment riche pour se le permettre -, même si le budget de 100 millions de dollars engouffré dans cette affaire fait un peu cher le caprice et le frittage des ego. McTiernan, lui, est passé à autre chose, en l'occurrence un remake de L'AFFAIRE THOMAS CROWN, qui devrait sortir à la rentrée.

INCOHERENCE
Le résultat n'est probablement satisfaisant ni pour McTiernan, qui a vu sa fresque shakespearienne des temps vikings transformée en film d'action partiellement incohérent, ni pour Crichton qui a peu de chances de rentabiliser l'investissement (budget du film + frais d'avocats en pagaille), et on ne voit pas trop le public se ruer en masse là-dessus, même si Zorro-Banderas en tête d'affiche fait toujours recette.

EPOPEE VIKING
Néanmoins, une fois toutes ces précautions prises, LE 13EME GUERRIER reste très recommandable, non pas pour ce qu'il aurait pu être, mais pour ce qu'il est: un film vraiment insolite dans le cadre des grosses productions US actuelles. Plus proche des épopées de Kurosawa, du EXCALIBUR de John Boorman ou des incursions heroic d'un Paul Verhoeven (LA CHAIR ET LE SANG, en particulier) que de toute autre influence strictement américaine (les films à Vikings des années 50), ce film, qui devait initialement s'appeler EATERS OF THE DEAD (premier titre du roman de Crichton adapté), se déroule au Xe siècle; il raconte l'alliance entre une communauté de pillards nordiques et un lettré arabe pour combattre le fléau démoniaque des "mangeurs de morts" ravageant la Scandinavie. Exilé de Bagdad, envoyé comme ambassadeur dans les lointains de l'Asie Mineure, Ahmed ibn Fahdlan croise la route d'une horde de Vikings. Les contacts à peine pris, cet intellectuel habitué aux conforts des palais des Abbassides devient le 13e homme providentiel d'une troupe de guerriers mercenaires volant au secours d'un village assailli par des créatures mi-hommes mi-animales dilacérant et dévorant les cadavres de leurs victimes.
Les intrigues adjacentes (une rivalité entre deux chefs de guerre, une idylle entre Ibn Fahdlan et une locale...) ayant été réduites par les ciseaux de Crichton à quelques bredouillis fictionnels, le film se déroule sur un mode presque exclusivement épique en une série d'affrontements ensanglantés contre l'ennemi, ce barbare pestilentiel sans visage ni langue propre, descendu des montagnes alentour pour porter l'épouvante au cœur des hommes. Le gigantisme et la beauté nocturne de ces batailles contrastent violemment avec la laideur des scènes d'introduction. La dimension esthétiquement composite du film, où l'on navigue constamment entre le navet et le chef-d'œuvre, la bizarrerie des tempos, comme dérythmés, contribuent finalement à créer chez le spectateur ce même sentiment d'hébétude et de perte de tous les repères qui domine le mélancolique Ibn Fahdlan, interprété par un Antonio Banderas meilleur que jamais.

INCREDULITE
Le thème vecteur du 13EME GUERRIER, c'est évidemment, comme déjà dans le premier succès de McTiernan, PREDATOR (1987), la confrontation avec la possibilité du non-humain. Homme de savoir, Ibn Fahdlan doute de l'existence terrestre d'une si radicale altérité, et il lutte aussi avec les armes de la déduction et de la raison pour apprivoiser sa peur. Les brumes des croyances horrifiques ne se dissiperont qu'à ce prix : les mangeurs de morts ne sont que des hommes simulant la bestialité sous des peaux d'ours. Trois niveaux d'évolution anthropologique, trois degrés de civilisation s'étagent ainsi dans la fiction qui travaille à les rapprocher, en jetant entre eux des passerelles. Alors que le gros du cinéma US s'ingénie à halluciner de l'alien et de l'adversité panique partout, McTiernan filmant la dévastation des corps et la fascination de la nuit fait tomber les masques, détruit le théâtre des chimères et des artifices à coups de marteau matérialiste, et il humanise les monstres. Un film de l'incrédulité, voilà en définitive qui ne pouvait que déplaire au thuriféraire du rêve intégral hollywoodien.


ENGLISH VERSION:

Not available.