Tandis que Conan et ses amis se réjouissaient dans la cahute du magicien, la nuit était emplie par les rires dans la lointaine Shadizar. Dans la grande salle du palais, Osric, roi de Zamora, festoyait. Ses espions l'avaient informé que Conan était parvenu à la Montagne de Puissance et avait pénétré les défenses les plus secrètes de son temple; et à présent, le roi s'attendait au retour imminent de sa fille.
  Son corps âgé était paré de robes de brocart étincelant, ses doigts ornés de bagues resplendissantes. Et il était assis sur son trône, fièrement, à boire un excellent vin dans une coupe d'or martelé. A la lueur joyeuse de nombreuses bougies, certaines hautes comme un enfant de cinq ans, d'autres épaisses comme la cuisse d'un homme, des courtisans anoblis se déplaçaient çà et là ou se massaient autour du roi pour raviver des amitiés éteintes depuis longtemps.
  Aux pieds d'Osric, des filles vêtues de larges pantalons de brillante gaze transparente paressaient sur des coussins de pourpre et d'écarlate, comme à l'époque de la splendeur ancienne du monarque-guerrier, avant que le culte de Seth ait infecté le pays de sa haine et de sa terreur.
 Pourtant, même dans cette salle du trône, le roi ne se sentait pas à l'abri des assassins du Maître du culte, Thulsa Doom. Ainsi, des gardes aux visages déterminés se tenaient par deux à chaque porte et à chaque fenêtre ouverte pour protéger le souverain des furtifs pas nocturnes.
  Osric interrompit son badinage goguenard lorsque le grand chambellan s'approcha du trône, le reflet des bougies scintillant sur les courbes polies de son bâton d'officiel.
  - Sire, dit-il, je désirerais vous parler.
  - Qu'y a-t-il, Choros? dit le roi en faisant signe au chambellan de se rapprocher.
  - Sire, il est encore, là, Yaro, le prêtre noir de Doom. Il demande une audience en privé avec Votre Majesté à propos de quelque importante affaire d'Etat.
  - Il demande, dis-tu? fit le roi avec un sourire sans gaieté qui découvrit ses dents. Il exige, c'est plus exact. Eh bien, renvoie ce chien à sa niche et laisse-moi à ce rare moment de plaisir.
  - Mais, Sire, insista le chambellan, il m'a dit que l'affaire en question concernait votre fille, la princesse Yasimina.
  Le visage du roi vira au gris; ses yeux perdirent leur éclat.
  - Très bien. Mais faites fouiller l'homme avec le plus grand soin. Ne négligez pas ses bagues, ses broches ou tout autre ornement. Ces adorateurs du Serpent sont audacieux et perfides. Entre leurs mains, l'objet le plus inattendu peut devenir une arme mortelle.
  Comme le chambellan s'inclinait et quittait la pièce, Osric appela le capitaine des gardes.
  - Fais évacuer la salle. Dis à mes invités que les affaires de l'Etat demandent mon attention. Je ne veux pas de témoins, excepté Manes et Bagoas, mes gardes les plus fidèles. Fais-les attendre chacun derrière un pilier, prêts à surgir au cas où ce chien noir tenterait quelque traîtrise.
  - Fort bien, Sire, fit le capitaine.
  - Et quand ils partiront, demande aux serviteurs d'éteindre les bougies les plus voyantes. La lumière blesse mes yeux.
  Le capitaine fit une révérence et s'en alla, répétant les souhaits royaux à ceux qui entouraient le trône. Bientôt, courtisans, gardes et esclaves féminines se retirèrent, à l'exception des deux massives colonnes près du trône royal. Lorsque les bougies furent soufflées, de longues ombres rampèrent, pareilles à des serpents, le long du sol dallé.
  Osric gémit et humecta ses lèvres. Mais il se tenait droit, impassible, dissimulant son appréhension derrière une attitude majestueuse. Il vida sa coupe de vin et la jeta au loin, oubliant que le serviteur qui aurait dû la rattraper avait quitté la pièce. Comme un coup de gong, le récipient frappa le marbre et, cliquetant, alla rouler aux pieds de Yaro
  Le prêtre noir avait pénétré dans la salle d'audience sans le moindre bruit et, d'un pas lent et mesuré, approcha du trône. Restant impavide face au roi, il croisa les bras sur sa poitrine et inclina son crâne chauve en une legère révérence. Osric le contempla en silence, mais le mépris et la peur brillaient dans ses yeux.
  - Sire, commença le prêtre.
  - Eh bien, s'enquit le monarque, une bravoure feinte renforçant sa voix mal assurée. Vous désiriez me voir. Dans quel but?
  - Un but essentiel, Sire, répliqua Yaro en s'avançant d'un pas vers le trône.   Mon Maître, Thulsa Doom, le vrai prophète de Seth, l'Eternel, souhaiterait faire honneur à votre maison en épousant votre fille, la princesse Yasimina.
  - Faire honneur à ma maison! s'écria Osric d'une voix perçante. Honneur! Vous abusez de ce mot, et de ma patience.
  - Sire, le mariage est une institution honorable...
  - Monstre! Vous avez l'insolence de venir ici pour me dire cela? fit le roi, caressant sa barbe d'une main tremblante. Votre effronterie dépasse toute imagination!
  - Aucune effronterie n'était cachée dans mes propos, dit Yaro d'une voix atone. L'honneur que Doom vous ferait s'étendrait même au delà de vous. Il est dans les souhaits du Grand Maître que, par cette alliance, Zamora devienne le vrai royaume de Seth et le centre d'un empire toujours plus vaste.
  Bouillant de rage, Osric se leva. 
  - Assez! s'écria-t-il. Tant que je serai roi, je ne sanctifierai jamais cette monstrueuse union, cette infernale corruption des voeux du mariage! Gardes!
Les deux puissants gardes du corps sortirent de l'abri de leurs piliers de marbre. Yaro les contempla. D'une voix douce et sans expression, il dit :
  - Vous aviez promis que nous serions seuls, en une audience privée, roi Osric.
  Le rire du roi était pareil à l'aboiement du chien en colère.
  - Pensais-tu que je me présenterais seul face à une vipère humaine du Culte du Serpent? Je n'ai pas vécu aussi longtemps pour offrir mon talon dénudé aux crochets du reptile qui rampe.
Yaro fit une révérence faussement servile.
  - O rusé et puissant monarque... (Puis, se tournant vers les deux hommes d'armes Si je vous le demandais, assassineriez-vous cet infidèle au nom de notre maître, Thulsa Doom?
  Comme des somnambules, les gardes tirèrent leurs épées et avancèrent vers le roi qui se tenait, tremblant, sur l'estrade de son trône.
  - A l'aide! A l'assassin! A moi, mes loyaux gardes! cria vainement Osric, car ses faibles plaintes ne pouvaient traverser les lourdes portes, fermement barricadées selon les instructions du vieux roi.
  Comme le son des lames épaisses hachant la chair humaine étouffait les cris frénétiques du souverain, Yaro se retourna et se fraya un chemin dans l'immensité obscure de la salle du trône. Les deux gardes essuyèrent le sang de leurs lames sur la robe du roi mort et le suivirent.

 
 

ConanCompletist 2005